La tête coupée de la dame de Brezons (Cantal)

La tête coupée de la dame de Brezons (Cantal)

Voici la retranscription d’un récit romancé d’Henri Durif. Historiquement parlant, c’est Charles de Brezons (1545-1609) qui fut nommé gouverneur de la Haute-Auvergne en 1562 par les Guises. Il épousa Eléonore de Montmartin dont il eut deux enfants : François et Lucrèce. Il eut un enfant naturel Jean, né vers 1562, légitimé et anobli en 1607. L’auteur a confondu Charles de Brezons avec son cousin Louis de Brezons de Neybrousse.

Il y a très longtemps « que le parti des Guises parvint à faire envoyer en Auvergne, avec le titre de lieutenant général de la province, un capitaine nommé Louis de Brezons. Ce gentilhomme, qui plus tard s’immortalisera, mais d’une immortalité de sang, par les rigueurs inouïes qu’il déploya contre les protestants, avait une jeune femme dont le frère, quelques mois après son arrivée à Aurillac, succomba à un duel. C’était Hugues, un des moines du couvent (NDRL: monastère Saint-Pierre), que la voix publique désignait comme le meurtrier. Berthe de Brezons, excessivement pieuse, crut que son ressentiment était un beau sacrifice à faire à Dieu, et dès ce jour, Hugues, sur sa prière, revint quelquefois la visiter dans son oratoire. Ce commerce pur, que la religion couvrait de son plus chaste manteau, cet échange mutuel de sentiments sacrés s’exhalaient deux cœurs remplis tous deux d’une ferveur profonde, durait depuis assez longtemps. Sans doute ils étaient loin, bien loin de prévoir l’un et l’autre le drame qu’allaient nouer ces fatales entrevues, et la catastrophe sanglante qui les attendait à la fin. 

Sur ces entrefaites, une vieille femme, née en Bohême, qui, de nourrice de Berthe, était devenue sa confidente et son amie, fut chassée par le lieutenant-général ; et le lendemain, quelque fermentation s’étant manifestée parmi les religionnaires, l’abbé quitta le couvent pour habiter avec son chapitre le fort de Saint-Etienne. (…)

Une journée, c’était le 16 mai 1563, une fenêtre étroite donnant sur la terrasse du château qui regarde la ville, s’ouvrit, et une belle figure pâle se dessina sur le fond noir de la chambre : ce visage était celui de Hugues. (…)

Il se retira bientôt, et laissa tomber devant lui une tenture jaune que le soleil se hâta de traverser pour aller couvrir le plancher de la cellule d’une brillante draperie d’or. Le prêtre s’assit : en un instant ses joues blêmes s’étaient colorées du feu d’une idée de bonheur. Peut-être, en effet, condamné à son aurore à voir sa vie si jeune, si fraîche, s’écouler isolée dans l’abstinence et la tristesse, il tournait sa tête en arrière, et remontait dans son existence comme on remonte un fleuve pour revoir les sites charmants qui nous ont frappés. Son œil tranquille erra longtemps incertain sur mille objets. Chaque meuble de sa chambre semblait lui rejeter une pensée heureuse (…). Seulement, au milieu des sentiments délicieux qui l’absorbaient, il aperçut un miroir ovale qui, terni par la chaleur de l’appartement, ressemblait au visage d’une madone obscurci par les pleurs. (…)

Ce fut alors qu’une robe de soie se froissa près de son fauteuil. Hugues se retourna et poussa un cri, en voyant devant lui haute dame Berthe, Vicomtesse de Brezons.

Ce qui fut dit dans cette conversation, nul ne l’a jamais su.

On conte cependant qu’environ une heure après on entendit le galop d’un cheval. Le lieutenant-général en descendit, mais si précipitamment que le bruit de ses éperons de fer retentit rudement sur le pavé. Ses yeux lançaient des flammes. (…) Quand il rentra dans le cloître il ne vit rien que Berthe tremblante, à genoux, devant le confesseur, qui priait.

Sur une éminence, près du Gua-Bouliaga, s’élevait un massif de pierres bizarrement entassées. (…) Au sommet se trouvait assise une image de sainte grossièrement sculptée. C’est de là que venait ce jour-là Madame de Brezons. (…) Berthe avait ouvert ses Heures, mais elle ne put lire ; elle écoutait l’eau murmurer et les bouleaux trembler, penchés sur la rivière. Tout restait calme au milieu d’un concert de silence…

La nuit était tombée, lorsqu’au loin une lumière brilla tout-à-coup. Madame de Brezons la vit, fit un signe de croix et s’achemina de ce côté. 

Le temps, serein jusque-là, avait changé. (…) Berthe hâta le pas, apercevant toujours devant elle la lueur incertaine qui souvent disparaissait derrière les feuilles et soudain jaillissait luisante dans l’obscurité. La vicomtesse s’attachait à ne jamais la perdre de vue, car à pareille heure, dans cette solitude, cette étoile lui semblait un appui et comme un oeil qui la regardait. (…) Arrivée devant la maison, elle ramassa un caillou et frappa trois petits coups. La porte ne s’ouvrit pas, et la dame de Brezons, en proie à une frayeur naturelle, pencha sa tête vers une fente de la boiserie et prêta l’oreille; mais elle n’entendit autre chose que le bruit léger de l’herbe qu’elle avait froissé sous ses pas, et le vent qui se plaignait. (…)

C’est alors que des pas se firent entendre, et quelqu’un s’approcha.

_ Est-ce vous, Catherine ? s’écria Berthe Que vous vous êtes fait attendre, ô mon Dieu !
_ Oui, gronde-moi, gronde-moi, dit une voix cassée, comme si c’est ma faute, comme si ce n’est pas toujours de toi que je m’occupe. Allons, viens.

La nourrice ouvrit la porte. elles montèrent péniblement quelques escaliers délabrés et se trouvèrent dans une pièce spacieuse qu’éclairait une petite lampe, et où brulait un grand feu. (…)

_ Entre, ma fille, dit la vieille. Pauvre enfant, tu es toute pluie. Tiens, vois ce siège au foyer : va t’y reposer un moment et tes vêtements humides sécheront.
_ Merci, mère… c’est pour autres services que j’ai besoin de vous.

Alors, elle se tut. La vieille fit un signe en la regardant avec étonnement, et Berthe qui comprit, tendit une main blanche comme la neige qui vient de tomber.

_ Benoite dame sa patronne, priez pour elle ! Oh ! Quelle ligne profonde tout près du doigt index ! Je ne te l’avais pas encore vue ; parle, chère âme…
_ Mère, reprit Berthe, et sa voix trembla : ce prêtre…
_ Lequel ?
_ Vous ne devinez pas, Jésus !

La vieille la toisa d’un regard :

_ Hugues ! … Tu le hais donc encore : tu fais bien ; la religion ne peut le défendre. Oui n’oublie jamais que quand viendra la Chandeleur, il y aura un an de cela, il prit querelle avec ton frère et qu’à la suite de cette querelle, il le tua…
_ Assez, assez, de par les saints ! Assez, Mère ! Je lui ai pardonné… Et je veux savoir de toi, par l’effet de ton art, je veux savoir…

Tout à coup  on entendit un bruit; à cet instant une main s’allongea et quelque chose roula jusqu’aux pieds de Berthe qui poussa un cri déchirant. Personne n’était entré, mais la porte resta entrouverte et une voix bien connue, tant elle était rauque et sauvage, cria : 

_ Tiens, sorcière, donne ceci à ma femme, en souvenir de son frère. C’était la tête du moine que le lieutenant-général avait tué.

La vicomtesse conserva précieusement la tête de son bien-aimé dans son oratoire. Berthe de Brezons « légua par testament cette tête de mort à la chapelle de Saint-Etienne avec une rente annuelle et perpétuelle de 90 écus, à la charge de l’abbé seigneur de la chapelle de faire célébrer tout les 16 mai de chaque année, une grande messe pour le repos de l’âme de son malheureux amant.« 

 

 


Bibliographie :  

Henri DURIF, « Le crâne », 1832.
DESROSIER, « L’art en province : Histoire, littérature, voyages », 1836.

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