Inquisition et fanatisme en Bourgogne

Inquisition et fanatisme en Bourgogne

En Franche-Comté 795 cas de sorcellerie ont été recensés entre 1434 et 1667, dont 367 accusés et 395 villages concernés. En Bourgogne, certains lieux gardent encore la marque de ces histoires à travers diverses légendes. A Tonnerre dans l’Yonne ne parle-t-on pas des « Sous du Diable » de la fosse Dione ? A Mâlain ancien lieu de la pratique de sorcellerie noire en France de sa porte d’accès aux Enfers, la fameuse grotte dite « Le Trou du Diable  » ? Mais aussi à Céron, en Saône et Loire, vers 1840, vivait une guérisseuse, jeteuse de sorts, célèbre dans toute la région, chez qui l’on découvrit des cadavres de nouveaux-nés.

On retrouve aussi bons nombres d’archives grâce aux chasseurs de sorcières tel que l’était Henry Boguet (1550- 1619), Grand Juge de Saint-Claude (1596 à 1616), au comté de Bourgogne et très célèbre démonologue. Il est l’auteur du best-seller de l’époque le « Discours exécrable des Sorciers » (1602). Il condamna une quarantaine de sorcières au bûcher et il eut à juger également sur Saint-Claude dans le Jura 9 cas de lycanthropie.

En pleine recherches pour les futurs articles de la Freaks Corp., j’ai découvert des témoignages de sorcellerie et de pratiques fanatiques que je tiens à vous faire partager. Mais avant ça une petite piqûre de rappel s’impose !

L’Inquisition :

Créée entre 1231 et 1233 par le pape Grégoire IX, l’Inquisition est d’abord une institution judiciaire pour lutter contre l’hérésie. L’inquisition doit sa naissance à la fameuse croisade contre les Albigeois (1208-1249) dont l’objectif était de lutter contre le catharisme. Mais au cours de sa longue histoire elle multiplie les victimes durant 6 siècles (cathares, vaudois, juifs, templiers, morisques, Jeanne d’Arc, Gilles de Rais, magiciens, sorcières, protestants…) et instaure un climat de terreur en légitimant le recours à la torture.

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« L’Église a pleinement le droit de torturer. La torture sert à dégager la vérité. Lorsque le crime d’hérésie est le fait de plusieurs, on les torturera les uns après les autres, en commençant par le plus jeune ou par celui qui semble le plus peureux.» (Extrait « Le Dictionnaire des inquisiteurs », Valence, 1494, Paris, Éditions Galilée, 1981.)


Quelques repères chronologiques :

Années 1140 : premières contestations hérétiques au sein de l’Eglise
1199 : Bulle pontificale Vergentis in senium, Innocent III assimile l’hérésie au crime de lèse-majesté.
1229- 1230 : Dans la vallée du Rhin, le dominicain Conrad de Marbourg mène une offensive brutale contre l’hérésie. De nombreux bûchers sont allumés.
1231 : Création de l’Inquisition pontificale par le pape Grégoire IX
1233 : Le pape confie l’Inquisition aux ordres mendiants (dominicains et franciscains)
1254 : Dans la bulle pontificale Ad extirpenda Innocent IV autorise la pratique de la torture pour extirper l’aveu
1316 –1334 : Le pape Jean XXII étend l’hérésie à toutes les formes de dissidence et de déviance.
1375 : A Avignon, l’inquisiteur catalan E.Eymerich rédige son « Manuel des inquisiteurs » qui connaît une diffusion incroyable.
1440 : Début de la chasse aux sorcières en Dauphiné et dans les pays de l’arc alpin.
1467 : Premier ouvrage de sorcellerie le « Fortalicium Fidei » de Alphonsus de Spina à Strasbourg.
1486 : Parution imprimée du « Malleus Maleficarum » ( Le Marteau des sorcières) des professeurs de théologie Jacques Sprenger et d’Henri Institor
1580 : Jean Bodin écrit «De la démonomanie des sorciers»
1627 : Construction de la prison de sorcières « Hexenhaus »à Bamberg en Allemagne
1633 : Condamnation de Galilée
1680 : Catherine Deshayes dite la Voisin meurt brûlée en place de Grève. jugée avec 36 complices, elle fut mêlée à l’affaire des poisons. Chiromancienne, avorteuse, se livrant à la pratique des messes noires, elle aurait agi pour le compte de Madame de Montespan, qui était alors délaissée par Louis XIV pour Mademoiselle de Fontanges et voulait revenir en faveur par ses sortilèges.
1745 : Abolition de la méthode de torture de la question en France
1775 : Abolition de l’Inquisition en Allemagne
1834 : Abolition définitive de l’Inquisition en Espagne
1965 : L’Inquisition devient la Congrégation pour la doctrine de la foi à la suite du concile Vatican II.

L’inquisition opère à Autun (71)

Extrait des « Dossiers secrets de la sorcellerie et de la magie noire » de François Ribadeau Dumas

« Sous Louis XIII, en Bourgogne, le curé de Brazey-en Morvan, l’abbé Philibert Deleneau, guérisseur, passait pour un magicien. C’était un rude vieillard de 75 ans. L’official d’Autun l’arrêta en 1624. On saisit chez lui plusieurs conjurations à Satan (…)

A la requête de l’official, le procureur général d’Autun agit aussitôt. Son réquisitoire contre le curé fut féroce : le curé a préféré le Diable à Dieu :

« Dit avoir reconnu par la procédure que ledit Deleneau a quitté, renié, abandonné Dieu et s’est donné corps et âme au Diable, tant pas conviction tacite que parce qu’il a conféré plusieurs et diverses fois avec les démons, usé de sortilèges, brevets, herbes pour guérir les maladies, célébré des messes à rebours (…) »

L’interrogatoire, rondement mené, fut concluant :

« Enquis si en 1590, il vit un gentilhomme poitevin qui lui dit que s’il voulait, il le rendrait heureux, lui donnant des rentes pour porter au Diable

_ Dit oui.

_S’il mit en pratique ?

_Dit oui et quelques temps après qu’il eut vu le gentilhomme, il fut en un bois pour invoquer le Démon, qui se présenta à lui en forme humaine et revêtu de noir, ne paraissant avoir ni pieds, ni mains, et qu’il invoqua pour être heureux à la chasse.(…)

_Enquis s’il a été en l’assemblée des démons et ce qu’on y faisait ?

_Réponds que oui, et que le Démon le transportait en des lieux étrangers et éloignées où il voyait de la clarté, et où l’on faisait de grands festins, mais il n’en était pas rassuré pour cela, et retournant, il mourait de faim. (…) »

Il eut plus grave : l’abbé Deleneau dénonça les curés du voisinage, eux aussi suppôts de Satan : l’abbé Seguin, curé d’Auxy, l’abbé Desroncy, d’Auxy, l’abbé Dubois, curé de Montholon, et l’abbé Detrouet, curé de Curgy. *Toute cette société satanique avait l’habitude de se retrouver au bal de Satan. L’official fut impitoyable.

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Pour les crimes de « magie et sortilège…enchantements, devinations et autres méchancetés exécrables…conventions avec le Diable », le condamné est conduit par l’exécuteur de haute justice (…) Ce fut un magnifique bûcher qui flamba à Autun le 17 avril 1624. Les flammes dansèrent pour le curé Philibert et ses amis, qui avaient tant dansé au bal du Diable.

(Archives départementales de la Côte d’Or)

Le dossier des Ursulines de Charlieu (42)

Extrait des « Dossiers secrets de la sorcellerie et de la magie noire » de François Ribadeau Dumas

Etre convulsionnaire : Se disait au XVIIIe siècle de certains fanatiques auxquels l’exaltation religieuse causait des convulsions.

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Séance de secours : une femme se frappe à coups de battoir. La légende de la figure indique : « Percutiam et ego Sanabo » (Je frapperai et je guérirai – Deutéronome XXXII, 39).

« Après les prières d’usage et la bénédiction reçue d’un ministre, la sœur revêtue de sa robe de convulsionnaire se fit attacher d’abord sur de petits morceaux de bois l’une et l’autre oreille chacune avec 5 clous. Ensuite on lui fit haut de la tête rasée du jour, une très grande couronne avec un outil tranchant ; au milieu de la couronne, une grande croix et deux petites, l’une à droite, l’autre à gauche de la grande et ce , dans la couronne avec le même outil ; et enfin au dehors de la couronne douze lignes formant des espèces de rayons, situées trois par trois, à savoir trois au dessus du front, trois derrière la tête vis à vis celles du front et trois au dessus de chaque oreille. On fit ensuite entrer dans la couronne 100 épingles à coups de marteau. La grande croix fur formée de 40, (…). Au total la sœur souffrit la douleur de l’enfoncement de 276 épingles dans le crâne ! (…)

La convulsionnaire, après avoir relever les manches de sa robe et de sa chemise (…), se fit faire depuis le coude jusqu’à l’épaule 3 rangs de 4 croix formées chacune de 2 épingles qui entraient fort avant dans les chairs et ce , aux 2 bras.(…)

La convulsionnaire a ainsi reçu au total le dur et douloureux « secours » de 440 épingles, qui ont percé et transpercé différentes parties de son corps auxquelles il faut encore ajouter 2 avec lesquelles elle a percé ses joues du dedans de la bouche en dehors. »

« Ces opérations finies la convulsionnaire a fait réciter les hymnes de matines et de laudes du jour de fête de la susception de la Sainte Couronne d’épines, après quoi on a lu, sur l’indication de la sœur les chapitres 59 et 13 d’Isaïe (…) Cela fini, on lui a ôté les clous des poignets, les épingles des doigts de pieds, celles des mains, du cou, des joues et des bras, ce qui a occasionné à la sœur de gémir et de souffrir beaucoup et une effusion de sang de presque toutes les plaies formées par ces épingles. »

« Le sang arrêté, on a cloué la langue de la convulsionnaire sur une petite planche avec 5 clous, et chaque sein avec un pareil nombre sur d’autres planchettes et dans cette position la sœur a fait réciter les psaumes 51 et 13 ; et pendant cette récitation on lui a percé les oreilles et la langue avec des épées qu’on a tenues dans ces parties tout le temps de la récitation de ces psaumes. Après quoi, on lui a retiré les clous de la langue, pour lui percer 400 fois avec le stylet, pendant la récitation du psaume 35. Ce lard ment a eu ensuite lieu 13 fois à chaque sein, après quoi on en a tiré les clous.(…)

Ce jour 15 octobre 1781, la sœur B… reçut les « secours » qu’elle eût dû recevoir le 14 septembre et qui avaient été remis à un autre temps en raison des recherches que faisait la police de certaines convulsionnaires. Après les prières d’usage auxquelles on ajouta une antienne, le verset et l’oraison de Sainte Thérèse (…), La sœur reçut la bénédiction et distribua de l’eau bénite. Elle se mit à genoux revêtue de sa seule chemise et de sa robe de « secours » et, dans cette posture, elle fut flagellée alternativement par 2 personnes, armées chacune de 2 bonnes poignées de verges et cela pendant la récitation du psaume 50 ; elle fit succéder le chapitre 50 d’Isaïe et pendant cette lecture, on continua la flagellation, tandis que 3 autres personnes lui couvraient le visage de soufflets et de crachats, les unes après les autres. Cette humiliation subie, la sœur fit bénir tous les instruments qui devaient servir. »

J’espère que cette lecture vous aura plu !

Sarah Hubert-Marquez

Bibliographie :
L.Albaret, « L’Inquisition », Gallimard, « Découvertes », 1998.
J.Chiffoleau, « Sur la pratique de l’aveu judiciaire en France », L’Aveu, actes de la Table ronde de Rome, 1986.
A. Dey et J. Finot, « Histoire de la sorcellerie au comté de Bourgogne », Laffite, 1983.
N. Eymerich et F. Peña, « Le Manuel des inquisiteurs », réed. Albin Michel, 2001.
C. Ginzburg, « Le Sabbat des sorcières », Paris, Gallimard, 1992.
B.Gui, « Manuel de l’inquisiteur », édité par G.Mollat, Les Belles Lettres, 1964.
H.Institoris et J.Sprenger, « Le Marteau des sorcières », trad. A.Danet, Million, 1990.
R.Moore, « La Persécution : sa formation en Europe », Les Belles Lettres, 1991.
F. Ribadeau Dumas, « Dossiers secrets de la sorcellerie et de la magie noire », Pierre Belfond, « sciences secrètes », 1971.
B. Rochelandet, « Sorcières, diables et bûchers en Franche-Comté aux XVIe et XVIIe siècles », Ed.Cêtre, 2007.
 
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