Edouard Brasey, le passeur de légendes

Edouard Brasey, le passeur de légendes

Article qui devait paraître dans le N°7 de la revue associative Freaks Corp. en mai 2011.

Avec une actualité toujours foisonnante, Freaks Corp ne pouvait pas manquer de consacrer quelques pages au spécialiste des mondes de l’imaginaire; Edouard Brasey. Pour notre plus grand plaisir, il a répondu à nos questions avec simplicité et générosité.

Sarah Hubert-Marquez : Avec près de soixante dix ouvrages leur étant consacrés, avez-vous des créatures préférées ?

Edouard Brasey : Oh, je les aime toutes, à force de les fréquenter ! Si je vous réponds : les fées, ou les elfes, je serai conforme à la statistique habituelle, qui privilégie ces créatures comme les plus populaires auprès du public. Personnellement, j’ajouterai les sirènes et les ondines, fées de l’eau sensuelles et amoureuses, souvent fatales. En revanche je redoute assez les lavandières de nuit qui tordent leurs linges ensanglantés près des lavoirs, la nuit. J’aime aussi beaucoup les nains et les lutins. La susceptibilité extrême des premiers les rends hilarants, et les farces des seconds mettent de la gaité et de la joie dans les demeures, même si elles ne sont pas toujours du meilleur goût. Pour les créatures de l’ombre, je suis plus intéressé par les loups-garous que par les vampires ; je les trouve plus naturels, plus sauvages, moins surfaits. Il faut dire que les vampires de « Twillight« , dandies gominés luisant au soleil, n’ont rien à voir avec ceux des récits folkloriques hongrois et roumains, fiers paysans rougeauds au visage bien gorgé de sang. Pour les animaux fantastiques, j’aime les licornes, les chevaux ailés, et surtout les oiseaux: l’oiseau Roc de Sindbad le marin, le phénix, l’oiseau de feu…

Sarah Hubert-Marquez : Tous vos ouvrages sont richement documentés avec de nombreuses références et une bibliographie très dense. Est-ce une résurgence de votre formation de journaliste ? Un souci d’authentifier auprès du grand public la longue tradition des contes et des légendes ?

Edouard Brasey : Exactement. Lors de mes années de journalisme, j’ai appris à me documenter sérieusement, à toujours recouper mes informations, à analyser les sources et synthétiser les informations. Je me suis servi des mêmes techniques d’investigation pour mes recherches sur l’invisible.  Car, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, notamment en France, le merveilleux et le fantastique ont leurs règles, qu’il faut connaître et respecter. Et la description du surnaturel doit être précise, logique, et non pas inventée sur le moment pour les besoins de la cause. Si les nains font 30 ou 33 cm de haut, c’est qu’il s’agit de nains anglais, dont la taille se mesure en pieds et en pouces: ils ont donc un pied de haut !

Et puis, lorsqu’on fréquente de près les contes merveilleux, notamment ceux des frères Grimm, on s’aperçoit que tous les éléments qui les composent sont minutieusement installés et décrits, avec une logique interne et une force symbolique qui nous touchent profondément. C’est pourquoi je m’efforce de respecter cette précision des contes et légendes, de ne pas la travestir, et de renvoyer le lecteur curieux et exigeant aux sources, que je cite, afin qu’il poursuive plus avant ces recherches, s’il le souhaite.
Je précise que j’applique les mêmes méthodes dans l’écriture de mes romans. Je pars toujours du réel, du concret (et pour moi le monde de Féerie est très réel et concret), en me basant sur une documentation sérieuse ; l’imaginaire vient juste combler les vides et créer des liens entre des éléments disparates. L’imaginaire est le cadre, mais la peinture à l’intérieur, c’est la vie.

Sarah Hubert-Marquez : Au delà de votre travail d’écriture et de conteur, vous avez dit souvent vous considérer surtout comme un passeur. Cette volonté de transmettre aux autres vos connaissances du fantastique traduit-elle une certaine inquiétude de voir disparaitre ces savoirs ?

Edouard Brasey : Bien entendu ! Je fréquente amicalement Claude Seignolle, auteur de romans fantastiques et folkloriste réputé, qui a dépassé largement les 90 ans, et qui a commencé son travail de collectage de légendes lorsqu’il avait 16 ans, sous la direction du folkloriste Van Gennep. Il a connu des « anciens » qui étaient là du temps de Napoléon II ! Or, Seignolle a eu le mérite, voici 30 ans, de publier une anthologie de légendes et de récits du folklore des régions de France chez Omnibus. Il a ainsi redonné au public des histoires qui sans lui auraient été oubliées. Je me suis donné, lorsque j’ai commencé ces recherches, l’objectif d’être à mon tour un « passeur de légendes », pour un temps de ma vie en tout cas. Je suis ravi lorsque de jeunes « rôlistes » ou des confrères romanciers de Fantasy trouvent dans mes encyclopédies du merveilleux matière à nourrir leur imaginaire et alimenter leurs scénarios.

Sarah Hubert-Marquez : Quel regard portez-vous sur l’arrivée tardive de ce genre en France ?

Edouard Brasey : L’arrivée tardive du genre concerne ce que l’on appelle « Fantasy », genre d’origine anglo-saxonne impossible à traduire. En réalité, ce genre existait déjà depuis fort longtemps en France, mais sous d’autres appellations : le merveilleux, le fantastique. On peut faire remonter l' »invention » du roman merveilleux, ancêtre de la Fantasy, aux romans de Chrétien de Troyes sur Lancelot et la cour du roi Arthur ! Charles Nodier, au XIXe siècle, a écrit de merveilleux contes très adultes où se retrouvent des fées et des lutins. Jules Verne est un précurseur de la science-fiction. Des auteurs français du XX e siècle tels que Marcel Aymé et René Barjavel sont aussi à classer dans la littérature de l’imaginaire, et avant eux Anatole France, injustement oublié, auteur d’un roman superbe sur les salamandres et les esprits de la nature : « La Rôtisserie de la reine Pédauque« … Citons aussi Henri Pourrat, avec « Gaspard des montagnes« . Il est aussi l’auteur d’une compilation très éclairée et adroitement réécrite, « Le Trésor des contes« , qui reste une référence. Mais il est vrai que le genre était tombé en désuétude chez nous, et a du attendre la naissance de la Fantasy anglo-saxonne pour refaire surface.

Sarah Hubert-Marquez : Aujourd’hui de nombreux auteurs ?

Edouard Brasey : Oui et non. Beaucoup de jeunes auteurs s’essayent à la Fantasy, généralement parce qu’ils sont déjà de grands lecteurs du genre, mais peu d’entre eux arrivent à s’imposer, car le genre est encore minoritaire en France. Pour les « maîtres » du genre, je citerai Serge Brussolo, qui a écrit je ne sais combien de centaines de romans dans tous les genres de l’imaginaire,  Pierre Bordage et plus récemment Pierre Pevel, qui a réussi le pari de mêler le roman d’aventures à la Alexandre Dumas en inventant des récits dans lesquels les mousquetaires rencontrent des dragons ! Le genre Fantasy ne se résume pas à « Harry Potter« , fort heureusement. je citerai aussi « L’Ange blond« , de Laurent Poujois, Prix Futuriales 2010 du Festival Futuriales d’Aulnay-sous-Bois dont j’étais le parrain, « Gagner le guerre » de Jean-Philippe Jaworski, les romans « noirs » de Sire Cédric au Pré aux Clercs (« L’Enfant des cimetières« , « De Fièvre et de sang« , « Le Jeu de l’ombre« ), dont je suis le directeur de collection… La relève est là ! J’ai moi-même sacrifié à l’exercice en publiant une trilogie romanesque chez Belfond, « La Malédiction de l’anneau« , dont le premier tome, « Les Chants de la Walkyrie« , ont reçu le Prix Merlin 2009 et bénéficié d’une bourse de création du Centre National du Livre. J’ai repris la légende germanique des Nibelungen, avec Siegfried, Brunehilde et le dragon Fafnir, et les divinités des mythologies scandinaves comme Odin et Loki, pour écrire un roman de Fantasy « mythologique »…

Sarah Hubert-Marquez : A côté de vos responsabilités de directeur éditorial, vous exercez aussi avec votre femme le métier de comédien dans les spectacles de contes « Aux lisières de Féerie ». Quelle a été votre principale motivation pour monter sur les planches ?

Edouard Brasey : Eh bien, cela remonte à plus d’une quinzaine d’années.  J’avais commencé à publier mes premiers livres sur le monde de Féerie, et je donnais des conférences. Le public se divisait toujours entre ceux qui y croyaient et ceux qui n’y croyaient pas. Pour éviter des affrontements stériles, j’avais trouvé une parade : je racontais des histoires, des contes, des légendes, et les gens tombaient sous le charme de l’imaginaire. J’ai ainsi découvert l’art de la parole, l’art du conte, que j’ignorais totalement. J’ai été le disciple de conteurs et auteurs tels qu’Henri Gougaud, qui m’a beaucoup enseigné. J’ai suivi également des formations de théâtre, notamment de commedia dell’arte avec Luis Jaime Cortez, et j’ai conçu des spectacles contés. La rencontre avec mon épouse Stéphanie Brasey a donné un coup de pouce supplémentaire à ces projets. En effet, elle est comédienne, chanteuse, danseuse, mime, auteur aussi et peintre, c’est une artiste pluridisciplinaire qui a apporté à l’univers du conte traditionnel un côté délirant et en même temps très féminin. Et ça fonctionne. Stéphanie, c’est ma fée, ma sirène, ma Muse…

Sarah Hubert-Marquez : D’ailleurs en parlant de contes avez-vous un texte qui vous a marqué particulièrement ? Et pourquoi ?

Edouard Brasey : Mon conte fétiche est « Le mariage de Gauvain« , texte du XIIe siècle que j’ai adapté, dans lequel Sire Gauvain rencontre dans la forêt une dame disgracieuse qui le prie de l’épouser; Comme il a fait serment de courtoisie, il accepte malgré la laideur de la dame. Mais lors de la nuit de noces, il lui donne le « fier baiser », baiser qu’un héros donne à un être monstrueux, et la laide sorcière se métamorphose en la plus belle des femmes… Je termine toujours mes spectacles par ce conte fétiche.


Sarah Hubert-Marquez : Lors d’une interview récente vous avez dit vouloir explorer davantage votre imaginaire personnel.  Sur votre site on peut lire le début  de votre prochain roman, un thriller ésotérique qui sortira en 2012. Avec cette annonce d’une funeste malédiction au Vatican par St Pierre, vous abordez un thème nouveau. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Edouard Brasey : Après une longue incursion dans le légendaire et les contes, je reviens en effet au roman. Non pas des romans de Fantasy, mais des thrillers ésotériques, plus ancrés dans le monde contemporain. En réalité, même si j’ai beaucoup étudié ce que l’on peut appeler le paganisme, je m’intéresse aussi beaucoup aux religions, notamment aux fondements de la religion chrétienne. Le roman que je suis en train d’écrire, et qui sera terminé à la fin de l’été (avec une publication en 2012; plusieurs éditeurs sont intéressés, mais je n’ai pas encore choisi) se situe en plein contexte apocalyptique de 2012, avec cette interrogation sur ce que pourrait représenter la fin de l’Eglise chrétienne. De nombreuses prophéties concordent en effet à ce sujet. Je m’en suis inspiré pour ce roman extrêmement ambitieux et provocateur. J’aime me remettre en question.

Sarah Hubert-Marquez : Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Edouard Brasey : Une petite annonce des nouveautés de la rentrée: une nouvelle collection au Pré aux Clercs, ‘Les Enquêteurs de l’étrange« , que je coécris avec ma femme Stéphanie Brasey. Le premier volume sera consacré aux « Maisons hantées« . Il s’agit de cas authentiques de hantises que nous présentons et faisons revivre par des récits énigmatiques et, nous l’espérons, haletants. Et un « Traité de Sorcellerie« , également coécrit avec Stéphanie, avec un format intermédiaire entre les précédents traités et « La Grande Bible des fées » parue l’an passé, et qui sera remise en place chez les libraires car le livre a très bien marché. Et, pour 2012, deux romans: le thriller ésotérique sur la malédiction du Vatican, dont nous avons parlé, et un autre roman « noir », qui se situera en Bretagne. Mais je ne peux en dire plus pour l’instant !

www.edouardbrasey.com

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