La naissance des dragons

La naissance des dragons

Article qui devait paraître dans le N°7 de la revue associative Freaks Corp. en janvier 2011.

Qu’on le retrouve aux côtés d’une sépulture chinoise* vieille de 6 000 ans ou sur la porte monumentale d’Ishtar à Babylone, le dragon hante toutes les mythologies de l’humanité. Du Japon au Mexique, de la Russie au Vietnam, toutes les civilisations ont leur dragon. Sournois, belliqueux, sage ou bienfaisant, le dragon symbolise les forces indomptées de la nature. Mais comment expliquer l’universalité de cette créature hybride ? Et où le mythe a-t-il pris naissance ?

Selon le paléontologue Edgar Dacqué, il s’agirait d’une réminiscence de notre mémoire originelle qui contiendrait l’image des dinosaures du Mésozoïque*… L’hypothèse a le mérite d’être poétique et d’effacer les quelques centaines de millions d’années qui séparent l’ère des reptiles à l’apparition de l’homme. Mais que savons-nous du monstre ? Les textes et les représentations qui nous sont parvenus, nous montre que la forme primitive du dragon est le serpent. Quatre siècles avant notre ère, Le philosophe taôiste Zhuangzi nous parle aussi de la mutation du serpent-dragon ; «Tantôt dragon tantôt serpent, il se transforme au gré des circonstances sans jamais se fixer une ligne de conduite. Il s’élève et s’abaisse, faisant de la seule harmonie son aune. Il évolue auprès de l’ancêtre des êtres. »

En Egypte, Rê combattit le serpent géant Apophis, symbole du chaos. Dans la mythologie grecque, Apollon tua Python, le gardien de l’Oracle de Delphes, et Héraclès terrassa Lâdon le gardien des pommes d’or du jardin des Hespérides. En Asie, le Nâga fut prisonnier des serres de Garuda. Sigurd le héros de la mythologie scandinave tua Fafnir. Chez les Mitsogos du Gabon, Mpulu-Bunzi décapite le python arc-en-ciel Mbumba. Ces divinités solaires, souvent personnifiées sous les traits d’un oiseau de proie, lutte contre l’incarnation du mal. La tradition judéo-chrétienne n’a fait que répandre l’identification du serpent de la Genèse au diable. Ainsi, le combat de l’aigle et du serpent symbolise la victoire de la lumière sur l’obscurité. Une très belle représentation de ce combat datant du VIe siècle se trouve actuellement au musée de la mosaïque à Istanbul (Turquie). Tout ces récits nous renvoient au mythe fondateur du premier roi de l’histoire; Etana. Un souverain sumérien qui régna, selon la légende 1 500 ans grâce à l’aide d’un aigle (lire l’encadré).

Avec le temps, l’aigle et le serpent s’associent et deviennent les emblèmes du pouvoir. On pense à l’Uraeus accompagné du vautour Nekhbet sur la coiffe des pharaons. Le serpent devient de plus en plus monstrueux jusqu’au déploiement de ses ailes. C’est ainsi que les premiers dragons sont nés, issus de l’union de la terre et du ciel. Les serpents à plumes des Toltèques, Quetzalcóatl (Mexique) ou des indiens Tewas, Awanyu (Etats-Unis) sont un exemple parfait de cette hybridation. Mais on pense aussi aux séraphins des Hébreux, ces serpents de feu ailés qui gardent le trône de Dieu. Le bestiaire médiéval dotera aussi l’amphisbène des attributs des deux espèces. Pendant deux millénaires le dragon représente l’empereur de Chine alors qu’en Occident, il devient l’incarnation de Satan. Dans l’Apocalypse de St Jean, il se fera expulser du Paradis par l’archange St Michel. Au Moyen Âge, le massacre des dragons signe l’apogée de la vie des héros légendaires : le roi Arthur, Lancelot, Tristan, St Georges etc.

La cosmogonie contemporaine fait du dragon-serpent, le symbole du péché… Et qui dit péché, dit femme bien sûr. D’ailleurs, les nombreuses légendes nous rapportant les métamorphoses des femmes en serpents suppriment les derniers doutes qui pourraient subsister. On pense à Lamia et Méduse dans la mythologie grecque, à Mélusine et la vouivre en France. D’un point de vue ethnologique, ces femmes nous renvoient aux anciennes figures de la Terre mère et d’un matriarcat qu’un grand bouleversement renversa. Alors au fond la femme n’est-elle pas le plus beau des dragons ?

Sarah Hubert-Marquez

* Sépulture néolithique de Xishuipo en Chine centrale trouvée en 1980 où se trouve dragon réalisé avec des coquillages de rivière.

* Ere géologique qui s’étend de – 251 à 65.5 Ma

 

Le mythe d’Etana

La légende nous est parvenue grâce à des fragments de tablettes prébabyloniennes et des sceaux.
Après le Déluge, un aigle et qu’un serpent décidèrent de s’associer. Cette amitié contre nature perdura jusqu’au jour où l’aigle décida de manger les petits de son ami. Le serpent pour se venger blessa l’aigle et le jeta dans une fosse espérant qu’ainsi son rival allait mourir de faim. Etana à la recherche de la « plante d’enfantement » pour guérir son épouse Mudam stérile alla voir Utu. Le dieu du Soleil lui conseilla alors de passer un marché avec l’aigle piégé pour pouvoir aller au ciel rapporter le don de la fertilité détenue par la déesse Ishtar. Contre les bons soins d’Etana, l’aigle accepta d‘aider Etana à s’envoler vers le royaume des dieux. Ishtar offrit à Etana la « plante d’enfantement ».
Ce mythe signe la fin du matriarcat avec l’avènement de la succession et donc de la première dynastie de souverains sumériens.

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